Etre prof à Mayotte...
… n’est pas chose aisée.
Les propos de cet article n’engagent que moi (bien que recoupant l’avis de collègues d’établissements différents…) et mon expérience jusqu’à présent dans deux établissements dit « de brousse ». Il faut savoir qu’au-delà de la proche « banlieue » de Mamoudzou les villages sont considérés de brousse.
Cet article est fait pour casser l’image du prof sous les tropiques qui se la coule douce… certains sont peut-être (certainement d’ailleurs) là dans cet esprit là mais ce n’est pas mon cas, je ne suis pas encore tropicalisée à ce point là !
Prof en brousse est beaucoup plus difficile et beaucoup plus éprouvant que ce que l’on peut imaginer. Il est vrai qu’il n’y a pas, ou très peu, de problèmes de discipline (le problème est plus récurrent sur Mamoudzou et sa « banlieue »), les élèves sont généralement gentils et respectueux face à celui qui détient le savoir : le fundi, héritage direct de l’école coranique obligatoire pour tous dès le plus jeune âge.
Les difficultés ne se posant pas sur ce plan là, où est donc le problème ?
Ils ont beau être gentils ceci ne fait pas tout. La quantité de travail qu’ils fournissent d’un cours sur l’autre ou même pendant le cours est à peu près équivalente à la quantité d’eau qui tombe lors de la saison sèche, c’est-à-dire proche de zéro. Ils n’apprennent pas, ils n’aèrent pas leur cahier en dehors des cours (lorsqu’ils ont leurs affaires), résultat on stagne, on répète les mêmes choses pendant trois mois dans l’espoir que ça laisse quelques traces dans leur tête. Punitions, sanctions, exclusions… rien ne change !
Ce phénomène, je l’ai observé en collège et en lycée (j’ai le droit aux deux cette année, quel privilège !!), ils ne s’inquiètent pas de leur avenir, ils ne se posent pas de questions, ils ne s’inquiètent pas, du coup on s’inquiète pour eux (il faut bien que quelqu’un le fasse !) et le physique et le moral en prennent un coup…
En métropole c’est la même chose ? Non, pas à ce point là. Pour être franche, le fait de devoir faire de la discipline en métropole est beaucoup moins usant que d’essayer de leur faire apprendre un minimum de chose ici. D’accord, faire de la discipline c’est pénible mais au moins ça prouve que les élèves sont vivants, actifs, qu’ils sont capables de s’activer, ici rien ne le prouve, ils sont endormis dans les couloirs et dans les salles de classe. Ceux qui me connaissent comme quelqu’un qui a « deux de tension » et bien ici je passe pour une hyperactive !
Je comprends leur manque d’entrain et d’ambition mais j’en viens à perdre l’envie…
Tout d’abord, je dois leur enseigner une langue vivante étrangère alors que la grande majorité ne maitrise pas leurs langues de communication, le shimaoré (ou le kibushi selon leurs origines) et le français à l’école. Aucune des deux langues n’est maitrisée et là-dessus viennent se greffer l’anglais et l’espagnol (ou l’arabe selon leur choix).
Ensuite, ils n’ont pas l’ambition de faire mieux que leurs parents car pour beaucoup ils représentent la première génération à être scolarisée. Il n’y a donc pas l’envie de dépasser les aînés.
Il y a également un énorme manque de moyens pédagogiques, le matériel est inexistant ou en panne !
Enfin, seule une minorité de jeunes scolarisés dans le secondaire aura accès à l’enseignement supérieur. Très peu d’études supérieures sont faisables sur place, quelques BTS, on doit pouvoir les compter sur les doigts d’une main, existent à Mayotte. Pour suivre des études après le bac ils devront aller à La Réunion ou en métropole et pour se faire ils devront être boursiers ou pouvoir bénéficier de l’aide de la famille. Rien que le billet d’avion représente une fortune… De plus, pour les « élus » ayant pour destination la métropole, un énorme choc culturel les attend, ce à quoi on doit les préparer mais dans l’abstrait ce n’est pas évident !
Etant conscients de ces difficultés (malheureusement ils sont moins naïfs que nos petits métropolitains) ils n’ont plus de rêve pour les tirer vers le haut.
A ces premières difficultés viennent s’ajouter d’autres « problèmes » :
Il y a un manque certain d’établissements scolaires. Mayotte est le plus jeune département français, plus de la moitié de la population a moins de 20 ans. Les établissements sont surchargés, ici un collège de plus de 1000 élèves est un petit collège de brousse !
Le rythme quotidien des jeunes mahorais, ils se lèvent (pour la plupart) vers 4h30-5h00 du matin, d’une part c’est un héritage des aînés qui vivaient avec les heures du soleil, sortir à la nuit tombée les effrayait et d’autre part la première prière de la journée est très tôt. De plus, en brousse, ils doivent prendre le bus scolaire qui passe très tôt. Le problème de fatigue se pose surtout depuis la généralisation de la télé car cette petite boîte à image hypnotise autant les métropolitains que les mahorais, du coup ils se couchent plus tard mais se lèvent toujours aussi tôt…
A cause de cette fatigue les élèves s’endorment en cours, ils ne se contentent pas d’être passifs, non, non, ils s’endorment ! On les réveille, ils prennent leur stylo, commencent l’activité et se rendorment le stylo à la main ! Même en évaluation j’ai dû en réveiller certains pour qu’ils finissent leur travail !
Bref… voilà quelques problèmes rencontrés par les profs à Mayotte. On se bat contre des moulins à vents, c’est décourageant, usant, démoralisant… Certes, on n’a pas de violence scolaire (ou peu), certes ils sont gentils et respectueux mais ça ne fait pas tout.
J’ajouterai pour finir que le bel « esprit de famille » de l’Education Nationale n’a pas dû prendre le bon avion et s’est perdu en chemin…
Alors oui, il y a les plages, les cocotiers, le soleil, la chaleur (en saison humide la pluie est la bienvenue d’ailleurs car la chaleur humide est insupportable et ça use aussi !) mais le quotidien n’est pas une carte postale et travailler à Mayotte ne se fait pas les doigts de pied en éventail.